Interview Franck Noël Shihan pendant le stage d'Endo Shihan à Toulouse, Octobre 2004
Franck NOËL est actuellement 6°dan d'Aïkido(au moment de l'interview), grade qui lui a été décerné par l'Aïkikaï de Tokyo, centre mondial, où il a séjourné 8 ans et avec lequel il entretient des relations permanentes. Il occupe par ailleurs la fonction de Président du Collège Technique de la FFAAA (Fédération française d'Aïkido, Aïkibudo et Affinitaires). A ce titre il anime de nombreux stages en France et en Europe, notamment dans son Dojo à Toulouse. C'est à cette occasion, lors du stage donné par Endo Seishiro Sensei ce 2 et 3 octobre 2004, réunissant les plus grands noms de l'Aïkido français, auquel il officiait comme organisateur et traducteur, qu'il a accepté de répondre à quelques questions posées à la hâte entre deux cours.
Takeda > Comment les arts martiaux se sont-ils diffusés en France, en particulier l'Aïkido ?
Franck Noël > L'Aïkido est arrivé dans les années cinquante, en commençant par Marseille, puis ensuite Paris. Tanashiyabe sensei est arrivé le premier, ensuite trois sensei japonais qui sont restés assez longtemps en France : Tamura sensei qui est toujours là, Noro sensei qui est toujours là aussi, mais qui ne fait plus vraiment d'aïkido, qui a fondé sa propre discipline, un aïkido plus doux après un accident ; Et puis Nakazano sensei qui a commencé sa carrière en France à Marseille, qui est ensuite allé à Paris, puis est parti aux Etats Unis et qui est décédé depuis maintenant une petite dizaine d'années. Ce sont les trois initiateurs de l'Aïkido en France.
Takeda > Il existe de nombreuses sortes d'aïkido, une normalisation serait-elle bénéfique ou cette diversité est elle préférable ?
Franck Noël > Les deux, absolument. C'est à dire qu'il y a une nécessité pour se reconnaître dans la même discipline d'avoir un langage commun, d'avoir un répertoire technique qui soit identifiable, comme le répertoire technique de l'Aïkido. Cela dit bien évidemment les démarches pédagogiques qui vont utiliser ce répertoire technique pour développer les valeurs de l'Aïkido, ces démarches là sont extrêmement variées, diverses, et c'est parce qu'elles sont variées et diverses que la richesse, la capacité de l'Aïkido va pouvoir avoir des chances d'être exploitée. Il faut à la fois, et je pense dans tout enseignement, un peu de formalisme au départ, sans doute, et ensuite surtout faire tout ce qu'on peut pour ne pas se laisser enfermer dans ce formalisme, chercher la diversité, les différentes possibilités d'exploitation des richesses techniques qu'on a acquises.
Takeda > Comment expliquez-vous que l'Aïkido ait tant de succès en France, que le nombre d'adhérents soit croissant et aille même jusqu'à dépasser celui du Japon, alors qu'il n'y a ni compétition, ni nécessité de combattre ne de culture basée sur la guerre ?
Franck Noël > On ne sait pas vraiment si le nombre d'adhérents est dépassé, en tout cas c'est relativement proche. C'est simplement parce que l'Aïkido est une discipline fondamentalement humaine. Je pense qu'elle touche à des valeurs extrêmement profondes et universelles de l'être humain, et que même si l'aïkido n'est pas très connu, n'est surtout pas très connu de l'intérieur, même si on ne sait pas exactement de quoi il s'agit, dès qu'on l'approche, on se rend bien compte qu'il y a quelque chose là dedans de très profond et de tout à fait universel, comme un message. N'est sans doute pas pour son aspect extérieur que l'aïkido a du succès, mais c'est pour les valeurs dont il est porteur.
Takeda > Que mettez-vous surtout en valeur dans votre Aïkido ?
Franck Noël > Ce à quoi je suis le plus attaché c'est essayer de faire comprendre au maximum que l'Aïkido est une recherche, quelque chose qui se doit d'être évolutif à tout instant, qui ne doit pas être figé dans une démarche pré-établie, qui ne trouve jamais une vérité absolue, c'est le fait de toujours susciter un mouvement, un désir de provoquer chez les professeurs et les pratiquants toujours l'esprit de recherche, l'idée d'aller plus loin, d'aller ailleurs des domaines déjà explorés; considérant donc que c'est une aventure, un chemin. C'est la traduction même du Do de l'aïkido. Mais il n'y a pas de but à atteindre, il n'y a pas de perfection qui soit envisageable, rien qui ne sera jamais parfait. Ce qui importe c'est de se maintenir en mouvement.
Takeda > Vous organisez beaucoup de stages, en conséquences pensez-vous que l'apport constant de différentes techniques puisse perturber cette recherche ? Trop en apporter ne risque t'il pas de faire dévier ?
Franck Noël > Je pense que chacun est juge de ce qu'il fait, tout dépend à quelle échelle on se place. Il n'y a pas d'échelle en Aïkido, c'est à l'échelle d'une vie, l'objectif est absolument inaccessible puisque trop idéal. Donc en partant de là il n'y pas de faute possible, on se trompe mais ce n'est pas grave si on est en chemin, si on reste en mouvement. En mouvement je veux dire par-là que si on ne s'arrête pas sur ses erreurs, les erreurs n'ont pas d'importance, au contraire on va apprendre de ses erreurs. L'important est alors de multiplier les expériences pour se donner le maximum de chances de développer des choses riches, intéressantes, productives. Et si on croit qu'il y a une démarche juste et que le reste est déviance, on se limite déjà soi-même dans le sens même de sa recherche. Ce n'est pas parce qu'un pratiquant à l'impression d'être perturbé dans ce qu'il sait que cette perturbation est négative, au contraire c'est peut être le fait d'avoir été perturbé, de ne pas avoir été confronté à ce qu'il sait, qui va lui permettre de progresser, d'aller plus loin, de voir autre chose.
Takeda > Les arts martiaux sont-ils indépendants les uns des autres ou un lien leur permet-il de coexister ?
Franck Noël > Les arts martiaux sont des activités humaines, toute activité humaine a des liens évidemment, avec notamment tout ce que ça entraîne comme approximation, et c'est aussi en tant qu'activité humaine une discipline corporelle, donc qui obéis à des lois biomécaniques qui sont communes à toutes les activités physiques. La manière ergonomique d'utiliser son corps peut être utilisée dans n'importe qu'elle discipline. Dans tout cela il y a évidemment un fond commun si l'on veut, mais encore une fois comme avec toute activité humaine. En revanche sur le plan de l'objectif, sur le plan de la méthode, très clairement l'Aïkido est tout à fait spécifique, on ne peut pas comparer, c'est ce que disais Endo à la fin de son stage : "L'Aïkido c'est l'Aïkido", ça ne doit pas être comparé par rapport à d'autres disciplines, non pas qu'on méprise les autres disciplines, mais simplement que c'est autre chose; de même on ne va pas définir le football par rapport au handball, ou inversement; c'est différent.
Takeda > Merci beaucoup monsieur Noël
IKIGAI - 生き甲斐
Dans la culture japonaise nous avons tous un ikigai caché. C'est l'équivalent japonais de "la joie de vivre" et "raison d'être". Sa révélation exige une recherche longue et profonde de soi-même. Une telle recherche est considérée comme très importante, puisqu'on pense que la découverte de son ikigai apporte la satisfaction et la signification à la vie. Ça peut être tout simplement quelque chose de spécifique et de particulier pour la personne comme un hobby, un rapport, un projet ou quelque chose qui l'attire et le motive.
Toshimasa Sone et des collaborateurs ont développé une étude dans l'Université de Tohoku, à Sendai au Japon pour évaluer la relation entre vivre avec sens et longévité. Ils ont accompagné 43.000 adultes pendant sept ans. Les enquêteurs ont découvert que les individus qui croyaient que leur vie valait la peine d'être vécue et trouvaient une raison de vivre, présentaient une probabilité de mourir plus basse que le reste.
À partir de cette réflexion il y a plusieurs questions qui nous viennent en tête :
Existe-t-il "quelque chose" qui me provoque une exaltation et excitation de l'âme telle, qui me sert de motivation de lutter pour cela ? Puis-je l'obtenir à court ou à long terme ? Et l'Aïkido, quel est le rapport avec ce sujet?.
En essayant de répondre à ces questions nous allons voir les analogies qui rattachent l'Aïkido à ce concept.
Toutes ces questions mettent en évidence tout d'abord, une étude, une réflexion, une analyse intérieure de la personne, puis de son environnement, de son habitat.
Il s'agirait de trouver l'existence de quelque chose qui réveille en nous un intérêt suprême ou quelque chose dont on serait prédisposé à mettre, pour la réussir, beaucoup d'effort, d'engagement, et d'en investir beaucoup de temps. L'Aïkido, à l'instar de tout autre art ou discipline avec une perspective à long terme, joue un rôle très important.
L'Aïkido comme ikigai, pourrait nous aider puisqu'il réunit toutes les qualités nécessaire grâce à sa nature de Do (voie ou chemin) qui nous pousse à une recherche, de nature infinie, au travers de la pratique, des constantes comme la notion de respect, de spontanéité, de communication, d'économie, la beauté des mouvements et des gestes, etc.). Des notions qui sont parfaitement extrapolables aux situations d'au jour le jour et qui favorisent fortement les relations humaines.
Sa pratique développe chez l'individu toute une série de qualités (telles que la confiance en soi, l'autocontrôle, gestion des émotions qui lui confère une lecture et une interpretation plus rationnelle de la réalité) qui lui permettent d'affronter les adversités quotidiennes d'une manière plus supportable, jusqu'au point même de les jeter si c'était nécessaire.
Nous avons tous un talent à exploiter et partager avec nos semblables. Cet échange de savoir faire va nous conduire à un progrès collectif, nous rapprocher d'une perfection globale qui va se refléter tout d'abord en soi et ensuite dans l'environnement qui nous entoure.